Derniers bulletins de santé
-Lundi 20 mai 1984
La ligne à voie unique n°106, reliant Tubize à Ecaussinnes (Carrières) via Clabecq et Virginal, a 100 ans. L’événement passe inaperçu. Ses fidèles l’ont déjà abandonnée. Ils savent que sa fin est proche.
-Vendredi 31 mai 1984
Un ultime hommage lui est rendu : un voyage d’adieu coïncidant avec la dernière navette d’un double autorail spécial. Ce genre de cérémonie attire toujours, comme à la curée, une meute de journalistes, photographes et cameramen. Monsieur Alain Carlier (Dont nous apprécions d’ailleurs beaucoup les reportages à la RTBF) est là, avec ses complices, soucieux d’emporter quelques séquences choc de la centenaire agonisante.
-Lundi 3 juin 1984
Tout est consommé. Depuis hier, l’indicateur nouvelle formule, avec ses trains I.C. et I.R., est d’application. Les modestes gares de notre verdoyante vallée n’y figurent plus. Du fond de mes souvenirs s’élève la voix d’un vieux garde-salle à moustache annonçant : « Ronquières, Virginal, Clabecq, Bruxelles, première voie ! »
C’était le bon temps
Regrets
La disparition du trafic-voyageurs entraîne automatiquement la suppression des points d’arrêts restants : Clabecq, Oisquercq, Fauquez, Ronquières et Ecaussinnes (Nord)
Et Virginal ? Et Henripont ? Le train ne s’y arrêtait plus depuis 1981.
Et les anciens bâtiments de gare ?
Rasés ceux de Virginal (1972), de Oisquercq (1975) et de Fauquez (1981) .
Revendus à des particuliers ceux d’Henripont (vers 1960) et d’Ecaussinnes (Nord) (1981)
Rachetés par l’Administration communale et transformés en salle de fête, ceux de Ronquières.
La gare de Clabecq est la seule qui soit encore partiellement occupée aujourd’hui par du personnel préposé à la formation et la circulation des trains de marchandises,
Consolations
On ne peut pas dire que l’événement était inattendu. La ligne 106 avait bénéficié, plusieurs fois, de sursis providentiels, contrairement à d’autres lignes voisines qu’on avait sacrifiées. Ainsi la ligne Clabecq Braine-le-Château Braine l’Alleud avait-elle été supprimée en 1959 et la ligne Rognon Rebecq Tubize avait subi le même sort en 1964.
Voilà des années que notre chemin de fer était malade. Comme partout ailleurs, les véhicules automobiles lui avaient enlevé sa clientèle. Nos stations désertées n’étaient plus que des fantômes de gares, ouvertes à tout vent, sans personnel, sans refuge confortable et sans aucune indication d’horaires. De petits autorails discrets se faufilaient sans bruit derrière des écrans de végétation folle, si bien que les riverains eux-mêmes ne savaient plus au juste si la ligne était encore desservie.
Dans les derniers mois précédant la date fatale, l’autorail traînait des langueurs de fin de saison : un conducteur résigné, un contrôleur censé vendre des tickets et, comme voyageurs, deux ou trois navetteurs en transit seulement.
Aux mêmes heures, desservant villages et hameaux, les bus de la S.N.C.V., les cars du « ramassage » scolaire et les nombreuses voitures particulières véhiculaient prestement une population jeune et affairée… Mais indifférente au drame qui se jouait.
C’est la vie !
IL Y A CENT ANS, C’ÉTAIT LA FETE !
En 1884, c’était la fête dans la vallée. Les travaux du chemin de fer, commencés en 1881, touchaient à leur fin. Ils n’avaient duré que trois ans. Les Belges, experts en la matière, possédaient déjà le réseau ferré le plus dense du monde.
Comme toujours, les achats de terrain, les déviations de chemins, de rivières avaient suscité la mauvaise humeur des propriétaires touchés. Mais le prix offert fut honorable : 6.500 F l’hectare (4.160 F en 1840).
Les ouvrages d’art furent conçus pour la pose éventuelle d’une seconde voie, précaution qui ne s’avéra jamais nécessaire. Le coût d’une petite ligne rurale comme la nôtre était énorme comparé à la modicité des recettes espérées. Mais nous l’avions, notre chemin de fer, c’était l’essentiel ! Et il était temps !
Fin mai de cette même année 1884 serait créée la « Société Nationale Des Chemins de Fer Vicinaux » qui se proposait d’assurer la desserte des villages oubliés par un tram à vapeur beaucoup moins dispendieux.
Mais revenons au début de l’épopée.
21 janvier 1884 | Ouverture du tronçon de Tubize-Clabecq-Virginal, au service des voyageurs, bagages et marchandises. Virginal est le terminus, pour 4 mois seulement.
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Début mai | Ecaussines est relié à Virginal. Clabecq à Lembecq. Une ligne continue relie maintenant deux des plus anciennes gares de la région : Lembecq (1840) et Ecaussinnes (1842).
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Dimanche 11 mai 1884 | Inauguration de la ligne. Ronquières organise un festival de musique. Une médaille commémorative de l’événement est remise aux sociétés participantes. Peut-être est-elle encore aujourd’hui accrochée à la hampe de quelque drapeau ! |
Mardi 20 mai 1884
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Deux jours avant l’Ascension, le trafic régulier voyageurs et marchandises démarre. Personne n’ose imaginer que cela pourrait finir un jour.
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Désormais, la vallée va vivre au rythme du chemin de fer. La locomotive sifflant ou soufflant, hennissant ou gémissant (un vrai train, quoi !), va ponctuer chaque jour de la vie des riverains, leur rappelant qu’il est l’heure de se lever, de se coucher, de se mettre à table. On entendra les mères crier à leurs enfants qui partent, le jeudi après-midi, avec leur « sac à pissenlits pour les lapins » : « Pourrez jouer quand le sac sera plein ! Mais surtout, revener r’ciner (goûter) quand vos intindrez l’train d’4 heures ! »
Le train libérateur, tant désiré, engendrait déjà la tyrannie de la montre à remontoir perfectionné, reposant au bout de sa chaîne, dans la poche du gilet des agents du chemin de fer.
LA LONGUE MARCHE VERS LE RAIL
1835 : Premier chemin de fer du continent : Bruxelles-Malines
1884 : Mise en service de la ligne Lembecq-lez-Hal – Ecaussines (Sud)
Près de cinquante années se sont donc écoulées avant qu’une locomotive à vapeur, symbole de la Première Révolution Industrielle, ne traverse nos prairies inviolées, sur rail Vignole (profil à patin, acier Bessemer) posé sur billes en chêne traitées aux créosotes. Nous n’étions pas les derniers et devancions de peu le chemin de fer du Hain (Clabecq – Braine-l’Alleud, 1885).
Pourtant, il y a longtemps qu’on parlait de nous au Ministère des Travaux Publics.
Un projet de l’Administration avait envisagé jadis de relier Bruxelles à Mons par Tubize-Ronquières, Ecaussinnes…
Un autre, de l’ingénieur Vifquain, le père de notre canal, prévoyait de relier Namur à Bruxelles par Nivelles et les vallées de la Thisnes, de la Samme et de la Sennette (rive Est) jusqu’à Tubize. L’obligation de creuser un tunnel de 160 mètres dans les schistes d’Hasquempont, ne plaida pas en sa faveur.
La revue « Entre Senne et Soignes » (n°s 30 et 38) a déjà parlé des efforts accomplis par les administrations communales pour soutenir la construction d’une ligne privée, Fleurus-Denderleeuw, passant par Nivelles, Ittre et Virginal avec un embranchement vers Virginal (Village) – Rebecq – Rognon – Enghien ou pour rattacher Ittre et Haut-Ittre aux lignes Bruxelles – Mariemont (via Arquennes) et Bruxelles – Charleroi (via Nivelles).
Il y en eut bien d’autres. Sans résultat ! Mais voici du sérieux !
Le 4 février 1871, l’Etat décide la reprise des lignes privées qu’il avait naguère concédées. Parmi elles, la ligne Ecaussinnes-Ronquières (liaison entre rail et transport par eau) non encore construite que l’Etat promet de reprendre après sa construction. La société concessionnaire ayant fait faillite en 1877, l’Etat présidera lui-même à l’édification de la ligne qu’il prolongera vers Virginal et Clabecq pour aller rejoindre la ligne du Midi, au sud de Lembecq, créant ainsi une nouvelle liaison « Région du Centre-Bruxelles » sans passer par Braine-le-Comte.
Ce n’était pas un raccourci, la distance est la même des deux côtés. Mais les démarches de nos élus locaux et des industriels Olin et Goffin furent déterminantes. Les « Olin » (Olivier : ministre) des Papeteries d’Asquimpont, étaient obligés de transporter leur production par chariots, jusqu’à la gare d’Hennuyères et les « Goffin » , maîtres des Forges à Clabecq avaient un besoin évident d’une voie ferrée.