Tous au charbon
Les hostilités cessent le 8 mai 1945, 8 mois après la Libération. Les trains à vapeur reprennent leur service civil et reconquièrent leur empire car on a encore besoin d’eux. Le gouvernement de l’époque veut gagner la « bataille du charbon », notre seule ressource énergétique. Nous en exportons 3,8 millions de tonnes en 1953 vers les pays de la C.E.C.A. (Communauté Européenne du charbon et de l’acier). Il faut donc en extraire tant qu’on peut. Les travailleurs bénéficient de timbres de ravitaillement supplémentaires.
En 1946 cinq trains circulent dans chaque direction. En 1950, en semaine, 6 trains circulent vers Clabecq dont 5 poursuivent vers Bruxelles et 7 circulent vers Ecaussinnes et Haine-St-Pierre.
La région minière du « Centre » est donc privilégiée. Certains de nos compatriotes travaillent au fond de la mine. Mais la main d’œuvre vient surtout de Flandre (Gand, Zottegem, Grammont) par trains entiers, interminables, 4 à 5 qui se suivent et se croisent, matin et soir, pour les équipes de jour et de nuit. Tous passent en gare d’Ecaussinnes.
Autorails et Michelines
Un ou deux autorails circulent. Les « Michelines » ; plus légères, plus silencieuses et plus confortables que les « Trottinettes » font leur apparition. L’un et l’autre sont plus rapides que les trains à vapeur et procurent un gain de 6 à 10 minutes entre Clabecq et Ecaussinnes.
Le dernier train du soir, en provenance de Bruxelles, est une « Micheline » qui part de Bruxelles Midi à 18h56 et arrive à Virginal à 19h29 au terme d’un périple d’à peine 33 minutes. Un record absolu !
On remarque que les voyageurs ne s’attardent plus à Bruxelles après 18h56. Le magnétisme de la Capitale a cessé d’agir. La guerre a dépouillé le citadin quémandeur de tout son prestige. L’attrait de la campagne est irrésistible, surtout si on dispose d’une voiture.
Le romantisme de la fermette et du feu de bûches est en gestation.
Les Travaux du Canal et le Rail
On sait depuis des années que la mise du canal au gabarit de 1.350 tonnes va bouleverser le paysage (Plan Incliné, tranchée d’Asquimpont, écluse d’Ittre…). Le Chemin de Fer de la Sennette, sans en être touché particulièrement, va en subir les contrecoups.
Les travaux qui dureront plusieurs années (1960 à 1968 selon l’endroit) provoqueront l’interruption du trafic sur 2 voies ferrées venant de l’autre côté du Canal et qui le traversent sur deux ponts destinés obligatoirement à être démolis.
Il s’agit du vieux pont d’Asquimpont qu’emprunte la ligne vicinale venant d’Ittre et du pont ferroviaire métallique à proximité du Hameau du 45 amenant à Clabecq la ligne ferrée de la vallée du Hain.
1. La ligne vicinale
Dès 1959, la S.N.C.V. prenant les devants supprime l’autorail vicinal, qui avait succédé au tram à vapeur et le remplace par un bus. Les rails sont aussitôt récupérés.
En 1963, ce bus n’assurera plus qu’imparfaitement la correspondance avec le train à Virginal – ETAT. Malgré un rajustement de l’horaire il est trop tard ! Les Ittrois et Virginalois ont trouvé plus commode d’aller en bus ou en voiture prendre le train à la gare de Tubize, évitant ainsi 2 transbordements l’un a Virginal-ETAT, l’autre à Tubize.
2. Le chemin de fer du Hain
A la même époque, la S.N.C.B. supprime le service « voyageurs » sur la ligne Clabecq-Braine-l ’Alleud. En 1959, un service de bus de substitution très bien étoffé, unira Braine-l’Alleud à Clabecq et Tubize.
Des mutations irréversibles même quand les ponts seront reconstruits.
Pendant la durée des travaux, une voie en impasse fut construite à la hauteur de la future écluse d’Ittre. Elle amenait à pied d’œuvre les matériaux nécessaires aux travaux via la ligne de la Sennette. C’est peut-être ce qui l’a sauvée. Car on envisageait déjà de la supprimer.
Les Autorails de la Dernière Chance.
La S.N.C.B., très sollicitée par les élus locaux, tente de redonner vie à la ligne de la Sennette.
On espère que la Tour et le Plan Incliné, la nouvelle écluse d’Ittre et les sports nautiques d’Asquimpont susciteront un afflux touristique exceptionnel quand les travaux du canal seront terminés. On parle même d’un bateau-mouche.
La ligne doit être prête à accueillir cette nouvelle clientèle. L’électrification de Bruxelles-Tubize-Mons, le 25 mai 1963, en sera l’occasion.
26 mai 1963
La liaison directe avec Bruxelles via Lembeek est supprimée définitivement. Tous les trains venant d’Ecaussinnes et arrivant à Clabecq sont déviés vers Tubize. Là, s’offrent aux voyageurs des correspondances avec les trains électriques vers Bruxelles ou Braine-le-Comte.
Il ne circule sur la ligne que des autorails assurant le service par des navettes multipliées. Il y a même le dernier autorail du soir, venant de Tubize, qui passe à Virginal à 22h26. Jamais aucun train de voyageurs n’est passé aussi tard.
En 1964
Lembeek-Clabecq est électrifié à son tour jusqu’au kilomètre 5 à la limite de Oisquercq, afin d’atteindre la gare de formation des marchandises s’étirant entre les anciennes forges et les terrils résiduels, à proximité du raccordement avec les « Nouvelles Aciéries » sur l’autre rive du Canal.
Grâce à l’électrification, Clabecq reste la seule gare capable d’une liaison directe marchandises et voyageurs avec la région bruxelloise.
Le 30 mai 1965
Haine-St-Pierre n’est plus le terminus de la ligne 107 car on vient de fermer le tronçon entre Ecaussinnes et Houdeng aux voyageurs. En cause, les travaux de l’autoroute et du canal du Centre. Désormais la ligne porte le n° 106. Elle se contente de relier Ecaussinnes à Tubize via Clabecq comme le fait la Sennette.
Au départ de Virginal 8 autorails circulent en semaine et le dimanche en direction de Tubize et 9 le samedi. En provenance de Tubize 9 autorails circulent en semaine et le dimanche et 10 le samedi.
L’autorail supplémentaire du samedi part de Tubize à 13h49 et arrive à Virginal 14h03 où il a son terminus. Il repart dans l’autre sens il part de Virginal à 14h05 pour arriver à Tubize 14h18.
Cet éventail de parcours, un des plus larges de toute l’histoire de la ligne, laisse croire à une reprise possible du trafic. C’est une dernière chance qu’on lui donne !
Le déclin est lent (1966-1984) mais nous irons jusqu’au bout !
En 1966, la dernière locomotive à vapeur fait son dernier voyage entre Ath et Denderleeuw. C’est la fin d’une époque glorieuse.
En ce qui nous concerne, à peine avons-nous goûté l’ivresse d’un service d’autorails très étoffé que le bel édifice commence à se lézarder.
Il faudra cependant 18 longues années avant qu’il ne s’écroule.
En voici un rapide synopsis.
- Les Week-ends
Golden sixties ! La voiture démocratisée ! la T.V. dans les foyers ! Si les navetteurs prennent encore le train pendant la semaine, ils utilisent leur voiture personnelle durant le week-end. Lorsque la semaine des cinq jours, suivie de la fermeture des écoles le samedi (1974), sera d’application, les gares seront presque désertes deux jours sur sept. Des parcours devront être supprimés jusqu’à l’absence totale du trafic dominical (fin mai 1983).
- Les heures creuses
En dehors des services du matin et du soir, il n’y a plus guère de voyageurs qui prennent le train. Les parcours, aux heures creuses, vont aussi se raréfier. Les stations perdent de leur importance par l’amenuisement du trafic voyageurs et marchandises. Elles deviennent « haltes » et les « haltes » redeviennent « points d’arrêt » en attendant de disparaître définitivement. Les cours à marchandises inutilisées sont abandonnées : Oisquercq (1963), Ronquières (1970), Fauquez (1972), Virginal (1973).
Monsieur Robert Dekimpe, venant de Mouscron, sera successivement le dernier « chef » de Oisquercq et le dernier de Virginal.
Voyons de plus près le cas particulier de Virginal :
1965 | Plus aucun train n’en croise un autre à Virginal. La voie de croisement inutilisée se dégradera sur place. Les voies accessoires sont démontées. |
1971 | En semaine, encore 8 passages vers Tubize et 9 vers Ecaussinnes. |
1972 | Les bâtiments de service et la halle aux marchandises sont démolis. |
1976 | Encore 7 et 8 passages. Virginal n’est plus qu’un point d’arrêt. |
1980 | Une moyenne de 8 voyageurs les jours ouvrables. |
31 mai 1981 | Suppression du point d’arrêt. |
Les deux villages concernés sont trop éloignés du chemin de fer. Le site, rendu méconnaissable, disparaîtra rapidement, envahi par une végétation exubérante. Le « Plateau » reste à la seule disposition des bus.
Début mai 1983 : plus que 2 passages vers Ecaussinnes et 2 vers Tubize (dont un à vide) mais de toute façon, l’autorail ne s’arrête plus à Virginal.
1er juin 1984 : Qu’importe la suppression de la ligne 106, elle n’intéresse pratiquement plus les férus d’histoire locale et les nostalgiques du train à vapeur. A moins qu’un jour, une initiative touristique, centrée sur le plan incliné de Ronquières, ne lui rende vie durant les week-ends de la belle saison ?
Quant à l’agglomération de Fauquez, privée de ses usines et de son chemin de fer dont elle fut la dernière bonne cliente, elle s’interroge avec inquiétude sur la précarité de son destin et tente avec dignité et détermination d’en infléchir le cours.
Terminus
Nous voilà au terme de notre voyage. Il est temps de conclure. S’il fallait résumer, en une formule lapidaire, ce siècle de transports en commun, je choisirais de parodier le titre d’un film d’André Delvaux : « Un soir, un train « ! »
Un jour, un bus !