Etat de la ligne et reprise progressive du trafic.
Cela se fait rapidement. Dès 1919, l’Administration des Chemins de Fer rappelle au public qu’il est interdit de se promener le long de la voie. Moins de 4 mois après l’Armistice, le train roule déjà jusqu’à Fauquez.
Le 7 mars 1919
Un train, aller et retour, matin et soir, part de Hal vers Clabecq, Virginal et Fauquez (terminus), permettant ainsi aux salariés de reprendre le travail dans leur entreprise. Il y avait alors 300.000 chômeurs en Belgique.
Le 3 janvier 1920
La ligne 108 traditionnelle Bruxelles-Midi -Clabecq-Ecaussinnes (C) est rétablie avec 5 trains vers Clabecq (dont 4 pour Bruxelles) et 6 Trains vers Ecaussinnes (dont 4 venant de Bruxelles)
En 1922
Sept à huit trains circulent dans chaque direction. Mais déjà des réclamations apparaissent. Des voyageurs estiment qu’il y a trop peu de trains entre 09h30 et 15h, c’est-à-dire aux heures creuses. Ils veulent voyager et vivre intensément. Les « Années Folles » se profilent à l’horizon avec le Jazz et le Charleston !
L’apogée du Rail de la Sennette : 1923 à 1940.
1. Les Horaires
D’abord inférieur à ce qu’il était avant la guerre, le nombre de trains quotidiens ira en augmentant pour atteindre en 1939, à la gare de Virginal 11 en semaine, 12 le samedi, 8 le dimanche vers Ecaussinnes et 11 en semaine, 10 le samedi, 9 le dimanche vers Clabecq. C’est un maximum jamais dépassé.
Le train de 4h24 du matin n’apparaît plus, la journée de travail étant limitée à 8 heures depuis la loi de 1921.
Les premiers trains d’ouvriers du matin vers Ecaussinnes passeront à 5h26 en 1925 (5h14 en 1939) 6h03 en 1925 (5h56 en 1939) et 6h57 en 1925 (6h42 en 1939). Ce dernier convenait fort bien aux employés et écoliers.
Les premiers trains d’ouvriers du matin vers Clabecq et Bruxelles passeront aux alentours de 5h25, 6h57 et 7h52.
Le Bruxelles-Virginal (terminus) est rétabli mais avancé de 19 minutes (la journée est plus courte). Le train au départ de Bruxelles Midi à 17h59 arrive à Virginal à 18h48. Dans l’autre sens, le train au départ de Virginal à 19h21 arrive à Bruxelles Midi à 20h25.
Vers 1932-1935 Un semi-direct venant d’au-delà d’Ecaussinnes ne s’arrêtait qu’à Virginal (9h22), Clabecq (9h33) et Bruxelles (9h59) et reliait Virginal à Bruxelles en 37 minutes, un record pour un train à vapeur.
C’était un train, avec plusieurs voitures de seconde classe et plusieurs compartiments de première, fréquenté par les hommes d’affaires (Bourse, le mercredi) ou des hommes politiques se rendant au Parlement ou dans les ministères. Si j’ai bonne mémoire, les députés bénéficiaient du parcours gratuit en 2ème classe et les sénateurs en 1ère classe. La classe la plus fréquentée était la troisième classe économique.
2. La vogue des Voyages Collectifs !
L’après-guerre est d’abord une période prospère. On reconstruit. Il y a du travail pour tout le monde. La dévaluation de 1925 relance nos exportations et éponge un peu nos dettes. Les familles bénéficient souvent de plusieurs revenus. La majorité des enfants travaillent à 14 ans. Les chemins de fer offrent des voyages groupés, à prix réduit. Les gens vont pouvoir, enfin, satisfaire leur fringale de voyages. Ce n’était pas nouveau. Avant la guerre 1914-1918, il y avait déjà des trains de plaisir vers Ostende ou Paris mais pas à la portée de toutes les bourses.
Les Sociétés Locales (horticoles, avicoles, de musique, de pêche, dramatiques, religieuses, politiques, mutualistes…) vont se charger d’organiser ces voyages collectifs et d’y faire participer leurs membres même les plus démunis. On embarque un dimanche matin dans des voitures réservées (3ème classe).
Quelques heures plus tard, on découvre la mer à Ostende, le Zoo à Anvers, les grottes à Han, le Musée Colonial à Tervueren, avant d’aller se recueillir sur la tombe du « Soldat Inconnu » qui vient d’être placée au pied de la Colonne du Congrès. On s’envoie des cartes postales. Les boîtes de nos grands-mères en sont pleines. On ne rate aucune exposition :
1930 : Anvers et Liège
1935 : Bruxelles
1939 : Liège (Exposition de l’Eau)
Ni aucun pèlerinage ! J.O.C du Centre à Lourdes en 1931. La crise du début des années 30 ne semble pas avoir freiné cet engouement. Les pertes de salaire furent souvent compensées par un retour à la vie paysanne d’hier. On rachète une chèvre, une vache, un cochon. On ressort la manne à pissenlits. D’ailleurs, les adultes avaient l’habitude de vivre chichement, sans gaspillage, et les jeunes les imitent. On refait des provisions de bois, de beurre, de prunes au vinaigre. A la campagne, ce n’est pas sorcier ! Et puis, depuis 1930, on touche des Allocations Familiales, en 1936 des Congés Payés. Les chômeurs peuvent aussi solliciter une allocation de chômage.
Il ne faudrait pas oublier les voyages scolaires des diplômés de l’Ecole Primaire, en compagnie du bourgmestre et de son épouse, parfois. Toujours en chemin de fer : Lion de Waterloo, musée Warocqué à Mariemont, Floralies Gantoises. Namur-Dinant en bateau-mouche.
Enfin, ce seront les trains radio, avec de la musique diffusée dans toutes les voitures…
3. Le Train : Véhicule de l’« Emancipation »
Autre nouveauté de l’Entre-Deux-Guerres : l’augmentation du nombre de femmes faisant des navettes quotidiennes. En plus des ouvrières, il y a maintenant dans les trains des jeunes filles fréquentant l’enseignement moyen ou commercial à Tubize, Braine-le-Comte, Hal (écoles françaises) ou Bruxelles, sans oublier Nivelles, accessible en tram ou à vélo.
Diplômées en sténo, dactylo, comptabilité, langues étrangères… cheveux coupés à la Mistinguett et robe courte, elles peuplent les bureaux des usines voisines ou des entreprises privées et publiques de la Capitale, ramenant dans les villages le modernisme de la grande ville. Depuis 1921, elles ont, en plus, le droit de voter aux élections communales.
Cette époque sera décisive pour l’émancipation féminine et l’évolution des mœurs dans nos campagnes. Cela, hélas, ne se fera pas sans drame.
Les « garçonnes » allaient travailler, seules et libres, durant la semaine jusqu’à Bruxelles. Mais le dimanche, au village, on leur imposait toujours un chaperon ! Ces pionnières ont aujourd’hui plus de 60 ans. Interrogez-les !
4. Le Train des Mordus du Cinéma Parlant
Aux environs de 1935, la jeunesse populaire s’ennuie, le dimanche, dans les villages.
Les distractions qui lui sont offertes ne la satisfont plus, surtout en hiver. La T.S.F. (téléphone dans fil = radio) s’est répandue dans les foyers mais on l’écoute tous les jours. La TV n’apparaîtra que 20 ans plus tard. Alors, on cherche une agglomération vivante avec cinémas parlants, cafés, dancings où passer quelques bonnes heures avant de reprendre le travail le lundi matin. Cela existe tout près de chez nous, à Tubize, petite ville ouvrière animée, avec ses 2 cinémas permanents, ses cafés à pianos automatiques ou violes très réputées. On peut s’y rendre en chemin de fer, sans fatigue et sans crainte d’abîmer ses vêtements du dimanche.
Départ de Ronquières à 16h05, passage à Fauquez à 16h08, Virginal à 16h12 et à Clabecq à 16h22.
Y viendront progressivement des jeunes gens, des gens mariés, des fiancés, des filles chaperonnées, des amies ensemble… Monsieur Dubois, chef de gare de Virginal, accompagnait parfois sa fille.
A Clabecq, tout ce petit monde descend et par la rue de Nivelles (Déportation) se hâte vers le « Modern » (ex – Arbre Vert »), la salle aux murs blanchis est moins jolie qu’à la « Boule d’Or » mais l’acoustique est meilleure, les films plus populaires et puis les heures de séance conviennent mieux.
La seconde séance commence à 16h1/2.
On arrive un peu en retard mais on ne perd que le début des « Actualités Fox-Movietone » (des images du Tour de France à la Noël !).
A la « Boule d’Or », la seconde séance débute à 17h. Si on arrive vers 16h35, on assiste donc d’abord à la fin du grand film de la 1ère séance, ce qui est pour le moins déroutant.
J’ai même connu un mordu qui arrivait à Clabecq au train de 12h31 pour se « taper » les deux cinémas chaque dimanche.
Au programme, toujours 2 grands films. La séance se termine vers 19h40. Le train du retour étant à 20h56 à Clabecq, il reste environ 1 heure à passer au « Café des Deux-Gares », rue de Nivelles. Ticket de chemin de fer, 3 F 60, billet de cinéma, de 3 à 5 F, on ne boira donc qu’un seul verre de bière !
Pour le retour le train s’arrête à Oisquercq à 21h01, à Virginal à 21h06 et à Ronquières à 21h14.
« Cet exode dominical de quelques heures nous donnait l’impression d’être des privilégiés et nous en ressentions un bonheur immense » m’a dit le « mordu ».
En 1939, ceux qui aimaient rentrer tout de suite après le cinéma avaient à Tubize même, à 19h55, un train ne circulant que le dimanche et qui les déposait à Virginal à 20h14.
Ceux qui préféraient « faire une danse » au nouveau dancing, le « Palace », tout près du Modern, avaient un second train à 20h52, à la gare de Tubize, et ils arrivaient à Virginal à 21h06.
D’après ce que me disaient alors Lucien Depret et Joseph Planger d’Ittre, la correspondance du dimanche soir avec le tram réservait parfois de désagréables surprises. Il restait alors l’auto-stop problématique ou les inévitables 4 kms à pied qui usent… qui usent les souliers.
Menaces à l’horizon
1. Le vélo
Dès les années 1920, la bicyclette se démocratise. Son prix est abordable et le cycliste capable de s’occuper lui-même de l’entretien et des réparations courantes de sa machine. La lampe « à carbure » (en attendant la dynamo) permet d’affronter l’obscurité. Vélo, outil idéal pour les petites distances !
Les gens d’Huleux ou de la Basse, de Baudemont ou de Bornival, de la Bruyère de Oisquercq…, tous ceux qui habitaient loin des gares ou des arrêts du tram s’en emparent avec soulagement. Le vélo, c’est la liberté !
Jeunes gens et jeunes filles attendent avec fièvre le jour où ils pourront étrenner leur première « bécane ». C’est à bicyclette que nombre d’entre eux iront suivre les cours du secondaire ou de l’enseignement technique et professionnel dans les villes voisines.
A Nivelles, par exemple ! Mais les pavés de la route sont exécrables. Pour Roger Delalieux (du Rabot), René Vanhuffel et Abel Delestienne, c’est Paris-Roubaix tous les jours ! Demandez-leur !
Les motos (Sarolea, Gillet, F.N.) et les vélomoteurs suivront.
2. L’Autobus – l’Autorail
Dès le début des années 30, des autobus assurent certaines liaisons vers Braine-le-Comte, Hal, ou Nivelles.
La S.N.C.B. a senti la menace. Elle utilise déjà des trains légers surnommés « trains-trottinettes » : une petite locomotive-tender tirant 2 voitures légères, très bien suspendues, d’origine bavaroise (cédées par les Allemands, à titre de réparations de guerre).
A partir de 1934, ces trains légers seront progressivement remplacés par des automotrices (autorails) qu’on appellera aussi « Trottinettes », plus économiques pour la desserte des petites lignes, aux heures creuses. Le premier coup sérieux vient d’être donné à la locomotion à vapeur. En 1939, sur une douzaine de trains, dans chaque sens, 7 sont des autorails ou trottinettes.
3. Modifications à l’indicateur
A la veille de la guerre, pour rentrer de Bruxelles-Midi le soir, il faut désormais prendre, à 20h17, la direction de Tubize où un autorail à 20h52 assure la correspondance pour Virginal où il arrive à 21h06. Le trajet dure 49 minutes, avec changement de train au lieu de 40 à 45 minutes seulement pour une liaison directe en 1884 ! Avenir très inquiétant !
Les Flamands flamandisent le nom de leurs gares, tout en simplifiant l’orthographe, par l’élimination des consonnes parasites. Ainsi Ruysbroeck devient Ruisbroek, Loth deviant Lot, Buysingen devient Buizingen et Lembecq ,Lembeek. Hal reste momentanément Hal.
4. On se prépare au pire
L’hiver 1939-1940 est particulièrement rude. Des braseros sont allumés à la gare du Midi. Les voyageurs viennent s’y dégourdir les doigts. Le dimanche 14 janvier 1940, une alerte sérieuse ! La Phase B de la mobilisation est décrétée. Dès la tombée de la nuit, les gares sont plongées dans le noir et les trains occultés. Répétition générale de ce qui arrivera dans 4 mois ? Les amoureux anxieux se serrent l’un contre l’autre. Ils savent que la guerre les séparera bientôt. Il était dangereux d’avoir 20 ans en 1940 !