La paix retrouvée en 1945, les industries de guerre se reconvertissent dans l’automobile et lancent sur le marché toute une gamme de petites voitures, solides comme des tanks, destinées à conquérir une clientèle populaire. En quelques années les « Renault 4 CV », la Coccinelle V.W. et les petites anglaises (Anglia, Morris…) transforment la vie des familles et font de nos touristes et vacanciers des automobilistes de week-end emportant dans leur coffre tout le matériel de piquenique ou de camping imaginable. Jamais notre canal n’avait été tant courtisé.
L’île de « Robinson » au Sart (Ittre) connut alors ses plus beaux jours. La guinguette aménagée au milieu des étangs, en amont de l’écluse 31, était accessible par une digue nouvellement aménagée. Le promoteur, un commerçant tubizien, imagina une zone privée de pêche avec camping, canotage, pédalo, petite restauration et bal sous tente le jour de la ducasse. Tubiziens et Bruxellois s’y côtoyaient dans un cadre à la fois agreste, sylvestre et lacustre n’ayant rien à envier à la « Guinguette Robinson » des Parisiens.
Hélas pour notre Canal, d’année en année il est de plus en plus délaissé à la période des Congés Payés, victime du progrès social ! Nos indispensables et capricieuses voitures préférant la Mer, la Côte d’Azur, l’Italie… !
Au début des années 60 commencent alors les travaux de l’actuel canal à 1.350 Tonnes. Les touristes nous abandonnent. Les riverains, pieds dans la boue, mutilés dans leurs biens, frustrés dans leur mémoire collective sont près du désespoir. Mais le merveilleux avenir qu’on leur promet leur redonne courage et les voilà tout aussitôt repartis confiants pour saisir la nouvelle chance qui leur est offerte. Le Vieux Canal est mort ! Vive le Nouveau ! Cependant l’adaptation est difficile. Tout est tellement différent et que d’espoirs déçus !
Aujourd’hui encore, quand nos philosophes se sentent du vague à l’âme, c’est vers les derniers bras morts de leur bon vieux canal qu’ils portent leurs pas de plus en plus lourds.
Et quand, d’aventure, ils aperçoivent de loin des bateaux de charbon australien, péruvien ou chinois montant vers Charleroi, ils trouvent que, décidément, dans notre pauvre monde, tout va à l’envers.