Dès l’ouverture de la pèche, les « chevaliers de la gaule » convergent vers leur cher canal que l’Administration des « Eaux et Forêts » et les Fédérations de Pêcheurs repeuplent régulièrement de roches (gardons), carpes, tanches, brèmes… La pêche est ouverte à la mi-juin et exceptionnellement durant deux jours à la Pentecôte.
Au fil des ans, les Sociétés de Pêche se multiplient, se dotent d’un local et d’une étiquette significative : les Astiqueurs (1910) (d’après Asticot) , le Fish-Club Bruxellois (1922) , la Gaule Brainoise (1931) , la Nivelloise , la Carpe Ronquiéroise (1932) , la Tanche du même nom (1938) , les Pêcheurs de Quenast , les Pêcheurs Réunis et les « 28 PECHEURS DE PERLES » ,allusion à la bière spéciale Caulier, la Perle 28, servie dans des chopes et que vantait une immense enseigne lumineuse animée, au Boulevard Lemonnier à Bruxelles .
Mais voici qu’arrivent les Bruxellois, rarement accompagnés de leurs épouses par le premier train du dimanche matin ou du samedi après-midi lorsque la semaine anglaise sera d’application courante.
Bottés comme des pêcheurs d’huitres , ils ploient sous la charge d’un attirail très sophistiqué. On n’a plus affaire à des amateurs mais à des spécialistes, lecteurs assidus de revues piscicoles.
S’ils descendent à Virginal, ils passeront la nuit chez « Lebrun » ou au « Petit Bruxelles ». Certains pousseront même au-delà de l’Ecluse de Samme jusqu’à la Flache, aujourd’hui disparue (Port de la 5 F).
Ceux de Ronquières s’égailleront dans les hôtels ou les guinguettes du bord de l’eau, direction amont vers Bornival.
On en verra qui, par prudence, camperont sur la berge afin de mieux défendre leur « place » et être les premiers le lendemain matin à jeter leur ligne, une demi-heure avant le lever du soleil dixit le règlement qu’un garde-pêche débonnaire est sensé faire respecter.
Quant aux pêcheurs de la région, ils ont aussi leur point de chute : un café pas loin de leur place favorite où ils entreposent le gros de leur matériel et garent leur véhicule.
Les mieux équipés utilisent en général une seconde ligne pour les grosses pièces. Capturer une carpe ou un brochet de plusieurs kilos ou alors des anguilles est un événement relaté dans la presse régionale et donnant droit à la photo traditionnelle.
Pour entretenir la flamme, on multiplie les concours et les prix. Et pour assurer la relève, on autorise les enfants de moins de 15 ans à pêcher avec leur père sans permis (1951).
Ecologistes sans le savoir, nos pêcheurs se plaignent déjà en 1909 de la pollution des eaux suite aux déversements industriels.
Pour leur commodité, ils demandent aussi de suspendre la navigation du dimanche à certaines heures (1937). Il faut avoir beaucoup pêché soi-même pour bien les comprendre. Ce sont des sages, paisibles et solitaires, aimant goûter la liberté et le repos de l’âme loin des tracas quotidiens et de l’agitation des villes. Le poisson, unique objet de leur pensée – mais non de leur ressentiment – est en somme un fidèle et intelligent adversaire, à la rigueur un alibi sérieux ! Ils le capturent sans haine, à la loyale. Pêcher à la grenade comme les Allemands en 1914 – 18 n’a aucun sens, si ce n’est en temps de disette.
Le pêcheur revient chez lui le soir, exhibant fièrement ses trophées. Mais il n’est pas prouvé qu’il aime le « poisson frit ». Et si son épouse lui prépare la friture, c’est peut-être pour se venger…!