LES PROMOTEURS

Le canal de Charleroi à Bruxelles est à l’origine un canal charbonnier destiné à relier les mines du pays de Charleroi à la région bruxelloise grande consommatrice de charbon.

En 1750, le petit peuple de Bruxelles utilise déjà pour se chauffer la houille de Charleroi. Mais vers 1820, 5 ans après « Waterloo », la demande en combustible est telle que les lourds chariots de livraison ne suffisent plus à la tâche. Les industriels carolorégiens redoutent d’être supplantés par leurs concurrents du Centre (plus près de Bruxelles) et du Borinage (déjà reliés par un canal à l’Escaut). Forts de l’appui des marchands bruxellois, ils réclament de toute urgence la construction d’un canal salvateur. Ils l’espéraient depuis plus de 200 ans. Pressé de toutes parts, Guillaume 1er Roi des Pays-Bas, notre souverain (1815 à 1830),  très réticent dès l’abord, finit quand même par céder. Pour les fonds de vallée très peu hospitaliers de la Samme et de la Sennette, DEMAIN sera un autre jour !

SA CONSTRUCTION (1827-1832)

Jean-Baptiste Vifquain (1789-1854), ingénieur des Ponts et Chaussées, est chargé d’en dresser les plans. Soucieux de ménager la trésorerie royale, il conçoit un canal à moyenne section :

  • De modeste dimension : 12 m à la ligne de flottaison, 2,10 m de profondeur et 6 m de fond plat.
  • Comprenant de nombreuses écluses (55), à faible chute (2,37 m), afin de limiter le volume des terrassements ainsi que la consommation d’eau.

Le cahier des charges approuvé en janvier 1825 estime le coût total à 1.106.340 F. Les travaux (firme Nieuwenhuizen & Cie) débutent le 2 avril 1827. Le 1er août, pose de la première pierre au souterrain de la Bête Refaite (Seneffe). Le canal sera terminé dans les délais le 22 septembre 1832 sans que notre Révolution pour l’Indépendance en 1830 n’ait constitué un obstacle quelconque.

Pour nos villages, ce fut une période faste. On recrute des terrassiers, des charretiers, des maçons. Les éleveurs vendent des chevaux. Monsieur Van Dress, entrepreneur, fonde même une société chorale groupant des employés et des ouvriers (d’après l’Abbé Malherbe).

Le 22 septembre 1832, le Gouverneur du Hainaut embarque à Charleroi sur la première péniche. Objectif : Bruxelles en 3 jours ! Un incident de digue l’empêche d’être à Molenbeek-Saint-Jean, le 25 septembre, pour l’inauguration de la 55ème écluse ouvrant la route vers Anvers.

 Discours, bénédictions, festivités ! Le 11 octobre de la même année, le canal est livré à la navigation. Le charbon de la première péniche arrivée à Bruxelles est distribué aux indigents de la capitale. Chez les marchands, son prix baisse de 40 %.

Au même moment, dans le secret des cabinets ministériels, s’élaborent déjà les plans du futur réseau ferroviaire belge.

NOTRE REGION DANS LE PROFIL GENERAL DU CANAL

Ce profil à point de partage comprend une montée, un bief culminant et une longue descente vers Bruxelles.

1.          La Montée

Partant de Charleroi (altitude 100 m), nous quittons bientôt la Sambre et remontons la vallée du Piéton jusqu’à Luttre sur 13 km et traversons 11 écluses.

2.          Le Bief Culminant

Entre Luttre et Seneffe sur une distance de 11 km culminant à une altitude 123 m, le canal franchit la crête de partage des eaux en empruntant le tunnel de la Bête Refaite dont la construction fut compliquée à souhait par la présence de sables mouvants.  Le tunnel mesure 1,2 km de long, avec une passe 3,2 m et un chemin de halage d’une largeur de  1,1 mètre.

3.          La Descente

Par les vallées de la Samme, de la Sennette et de la Senne sur une distance 50 km et traversant 44 écluses.

a. Vallée de la Samme de Seneffe à Ronquières (28 écluses),

La pente est forte, les biefs de 600 mètres en moyenne sont les plus courts, du canal.

La Thines venant de Nivelles passe sous le canal avant de se jeter dans la Samme.

Les écluses 37 et 38 sont à la limite de Ronquières et Feluy. Deux barrages sur la Samme, toujours visibles aujourd’hui près de la réserve ornithologique, alimentent le canal en eau.

Le bief 39 à Ronquières se situait approximativement à l’altitude du grand pont actuel mais légèrement en amont, face à l’auberge « La Belle Hôtesse ».

Tout ce quartier a été abattu lors des travaux du Plan Incliné.

L’éperon schisteux de Chenu contourné, le canal après une courbe rapide vers le nord emprunte la Vallée de la Sennette.

b. Vallée de la Sennette jusqu’à Clabecq (7 écluses)

L’écluse 40 à Pied’eau se trouvait sur la rive gauche à la hauteur de la maison éclusière typique (1832) un des rares vestiges subsistant de l’époque de la construction. A Fauquez, ni Verreries, ni cités mais, là-haut, les ruines de l’imposant château qui vient d’être démoli en 1827 afin d’en récupérer les matériaux.

L’écluse 41 se situait à Ittre, peu après Fauquez, là où la rue des Rabots actuelle commence à grimper vers Huleux.

L’écluse 42 à Hasquempont se situait 200 m en amont de la rue du Halage. En aval, le Ry-Ternel passe sous le canal pour aller se jeter dans la Sennette. Mais un peu plus haut, vers Ittre, un système de vannes donne naissance à une dérivation surélevée du Ry qui part alimenter le canal en eau. Le bief 42 contourne l’avancée rocheuse en empruntant le tracé de « l’ancien canal ».

L’écluse 43 à Samme est la seule écluse située sur le territoire de Virginal à l’extrémité nord du « vieux canal » avant d’atteindre l’entrée du port de la nouvelle écluse 5F.

L’écluse 44 à la Roquette se situait entre Saint Quirin à gauche et la Bruyère à droite.

Puis c’est Oisquercq où il n’y a ni pont ni de Centrale Electrique mais un grand et beau moulin. La Sennette y alimente le canal en eau.

L’écluse 45 à la limite de Clabecq et d’Ittre donne son nom au Hameau. Sur la rive droite au haut du talus la maison éclusière typique de 1832 est actuellement flanquée d’un perron et d’une construction récente. Il faut longer le canal pour l’apercevoir.

L’écluse 46 à Clabecq se situe immédiatement en aval du pont actuel, près de l’entrée des anciennes Forges qui viennent d’être prises en mains par Messieurs Warocqué et Goffin (1828). Il n’y a pas de grand pont mais le petit pont traditionnel sur l’écluse et un bureau de perception des droits de navigation.

c. La Vallée de la Senne de Clabecq à Molenbeek-Saint-Jean (9 écluses)

L’écluse 47 de Lembecq. Après avoir dépassé l’étroite passerelle Demeur, nous atteignons Lembecq où existe un court passage souterrain à hauteur du village sous une propriété privée.

L’écluse 48 est implantée à Hal. Le canal franchit la Senne sur un viaduc à trois arches.

Outre les ponts sur la plupart des écluses, on note aussi un pont de brique et de pierre à Fauquez, en aval du pont actuel, et à Hasquempont, à la hauteur de la ferme de la Tour. Ajoutons aussi des passerelles à Oisquercq et à Clabecq-Tubize.

 

ON EST CONTENT, ÇA MARCHE !

1. Petit bilan après un an de service (1833)

Jean-Baptiste Vifquain avait prévu que notre canal ne serait pas simplement une voie de transit pour le charbon de Charleroi mais deviendrait un véritable canal d’exploitation.

Quais et grues jalonneraient le parcours, chargeant à Seneffe le charbon du Centre et chez nous la pierre de Feluy, Arquennes, Ecaussinnes, Soignies et Quenast. A cet effet, deux bureaux intermédiaires de perception des droits de navigation avaient été installés : l’un à Seneffe, l’autre à Clabecq. Le règlement de 1833 nous fait connaître les diverses marchandises transportées vers Bruxelles au départ de notre région :

  1. La pierre de taille venant d’Ecaussinnes et de Soignies, chargée à Ronquières.
  2. La pierre à diguer entre Arquennes et Ronquières, vraisemblablement de la carrière de la Rocq longeant le canal.
  3. Du grès de pierres à paver entre Ronquières et Lembecq. Pavés de grès d’Ecaussinnes auxquels il faut probablement ajouter les pavés de porphyre de Quenast amenés par la route jusqu’au canal via Tubize. Dès septembre 1835, les Carrières de Quenast sollicitent une concession ferroviaire de 8 km qui leur est octroyée en janvier 1850.
  4. Du charbon de toute espèce à Ronquières et au-dessous. Il peut s’agir de charbon de bois en provenance du Bois de l’Houssière ou de la Forêt de Soignes avec ses prolongements (Bois de Clabecq et de Braine-le-Château) soit une superficie de 12.000 ha en 1790. Mais on peut aussi penser qu’il s’agit de houille provenant par exemple des Charbonnages de Bracquegnies, à l’extrême ouest du Bassin du Centre.

On constate en effet qu’en 1836 Bracquegnies sollicite elle aussi une concession ferroviaire jusqu’à Ronquières en passant par Ecaussinnes (Van der Elst, Cuesmes). Il semble donc que ces charbonnages préféraient Ronquières à Seneffe comme lieu de chargement sur bateau. La distance à parcourir n’était pas tellement plus élevée et on évitait de la sorte le passage dans les 22 écluses séparant le centre de Seneffe de Ronquières. La concession ne sera cependant pas accordée.

Toutes ces marchandises prenaient la direction de Bruxelles mais au retour les bateaux remontaient en général à vide.

2. Le tonnage transporté augmente rapidement

De 170.000 tonnes en 1833, il passe l’année suivante à 290.000 tonnes. En 1839, on inaugure au départ de Seneffe les canaux d’embranchement vers le Centre (La Louvière, Houdeng,.). Conséquences : en 1841, les 400.000 tonnes sont atteintes ; en 1845, les 575.000 tonnes; en 1857, les 800.000 tonnes, malgré quelques périodes de récession. On peut considérer ce dernier chiffre comme un maximum. Notre Canal était devenu le plus rentable de Belgique. L’argent qu’il avait coûté avait été largement récupéré.

3. La concurrence TRAIN-BATEAU

Le réseau ferré que l’Etat Belge construit au départ de Malines à partir de 1835 atteint notre région en 1841 (Bruxelles – Tubize – Soignies – Mons). Le Canal n’avait pas 10 ans d’existence qu’il se voyait déjà concurrencé par le train, plus rapide, moins cher, moins dépendant des conditions atmosphériques (gel) et capable de desservir au plus près une clientèle dispersée aux 4 coins du pays. Il s’ensuit une guerre de tarifs qui n’aura jamais de fin, arbitrée par le gouvernement. Le transport de la pierre par bateau subira un coup sérieux quand Soignies (1841), Ecaussinnes (1843), Feluy-Arquennes (1854) et Quenast (1872) seront rattachés au réseau ferré. Il en sera de même pour le charbon quand seront mises en service les lignes :

  • Braine-le-Comte, Ecaussinnes, Manage, Charleroi (1843)
  • Haine-St-Pierre, Ecaussinnes (1860) Bruxelles

–          Ecaussinnes, Clabecq (1884) Bruxelles Mais à la longue, un certain équilibre s’établit :

Des entreprises utilisent selon le cas les deux réseaux. Le Comte de Spangen, propriétaire de la Carrière du Banc à Ecaussinnes (Follie), expédie son grès aussi bien par chemin de fer à la gare d’Ecaussinnes que par bateau à Ronquières où accostent ses deux péniches (1856) (Léon Baguet).

La consommation de charbon augmente fortement, les entreprises utilisant de plus en plus de machines à vapeur. Chacun peut donc y trouver son compte. Le chemin de fer en est le principal bénéficiaire mais cela permet au canal de se spécialiser, si l’on peut dire, dans le transport régulier de grandes quantités de matières pondéreuses à plus ou moins longue distance le charbon pour les avalants, les céréales importées pour les montants.

Mais il est bon maintenant de faire la connaissance de ces fameux bateaux qui pouvaient mettre 3 à 4 jours de Seneffe à Bruxelles, 5 à 6 jours de Charleroi à Bruxelles, 8 à 10 jours de Charleroi à Anvers.