De père en fils, les Denis sont filtiers et négociants et le Rouge Lion est le centre de leurs activités industrielles et commerçantes. Les manipulations linières donnent à une Ronquières agricole une teinte industrielle. Cette industrialisation est l’oeuvre des Denis.
Les fileuses de Ronquières
Les statistiques établissent nettement que Ronquières est un village de fileuses. De 1779 à 1796 sur 126 jeunes filles qui contractaient mariage, 56 déclaraient avoir la profession de fileuses. Leur occupation principale est la filature du lin. Si, à ces fileuses professionnelles nous ajoutons celles dont la filature est une occupation secondaire et complémentaire on constatera qu’à Ronquières une partie notable de la population est occupée à filer le lin, ce qui est un phénomène d’industrialisation. Nous croyons que, dans les petites exploitations agricoles, les femmes et les filles s’occupaient à des travaux de filature durant leurs temps perdus et surtout durant les longues soirées d’hiver. Cette universalité de travaux liniers faisaient de Ronquières une façon de région industrielle et cette industrie s’adaptait à merveille au caractère de la population et à ses exigences économiques.
Le filtier de Ronquières
Le filtier était un agent de liaison entre les fileuses et l’animateur de la filature de lin de Ronquières .
Les documents signalent de nombreux filtiers à Ronquières et dans les environs. A Ronquières, nous connaissons Etienne Denis, Jean-Joseph Vanderelst et Jean-Baptiste Carrière. A Henripont, il y avait Constantin Detournay et Nicolas Beauchef. Et à Braine-Le-Comte, nous trouvons Modeste Dulait, Louis-Etienne Duchène, Jean-Joseph Bernier et Augustn, François, Luis et Modeste Huet.
Les filtiers supposent et révèlent une industrie linière florissante et un nombre considérable de femmes et de filles occupées à tisser le lin.
Ils remplissaient d’importantes fonctions économiques. D’abord ils faisaient venir du Brabant ou de Flandre le lin et le répartissaient entre les fileuses, leur donnant des directives relatives au travail à accomplir. Périodiquement, ils rassemblaient le fil produit par chacune d’elle et leurs payaient le prix convenu. Ce prix se payait soit en argent soit en nature, c’est-à-dire au moyen de marchandises diverses. Le filtier était boutiquier et vendait tout ce dont un ménage pouvait avoir besoin. Le commerce était fructueux et donna lieu à des abus que la loi dut réprimer.
Le fil produit par les fileuses était de qualité inégale et avait besoin le plus souvent d’une mise au point qui était l’oeuvre du filtier chargé de l’écoulement du fil sur le marché. Notons que le filtier s’occupait aussi du tissage et qu’il alimentait l’industrie des tisserands locaux.
Le retordoir et les retordeurs
Le fil produit par les fileuses était de qualité inégale. Il avait besoin d’un affinage et d’une uniformisation afin d’avoir une valeur marchande et de donner satisfaction aux exigences de la clientèle. Le retordeur y pourvoyait et les grands filtiers étaient en même temps retordeurs. Il ne semble pas que les filtiers de Ronquières aient eu des retordeurs de Braine-le-Comte . Ce retordage était surtout requis pour le fil destiné à la fabrication de la dentelle. Il était la spécialité de certains filtiers comme Auguste Denamur de Braine-le-Comte. Nous connaissons le tarif du fil à dentelle qui sortait de ses ateliers.
Numéro du fil | Prix à l’once |
3 | 36 |
3 1/4 | 32 |
3 1/2 | 27 |
5 | 12 |
5 1/4 | 11 |
5 1/2 | 10 |
Les prix sont exprimés en florins.
Étienne Denis fabriquait du fil à dentelle et, en 1825, il en présenta à l’exposition de Harlem. Nous croyons qu’il le faisait retordre à Braine-le-Comte .
Les tisserands de Ronquières
Ronquières avait des tisserands qui tissaient à domicile sur des métiers leur appartenant le fil qu’avaient filé les fileuses. Il s’en trouvait d’habiles, puisqu’en 1841, Etienne Denis obtint une mention honorable pour une pièce de baptiste qu’il avait exposée à Bruxelles. C’était la seule pièce de ce genre et c’était un travail ronquiérois.
Ronquières semble d’ailleurs avoir toujours eu des tisserands.
En 1568, parmi les affiliés à la secte calviniste nous trouvons quatre tisserands , Georges Bisbot, Godefroid Walem, et les deux frères Vespasiens. A la fin du XVIIIeme siècle, nous trouvons entre autres Charles Bourgelle qui, en 1750, épousa Marie-Joseph Leclercq et qui exploitait la petite ferme de la Gueulo, et les Landercy dont François qui épousa Marie-Adrienne Dechief et mourut en 1750, son fils Laurent qui épousa Jeanne Joly et, finalement Nicolas Landercy qui vécut de 1796 à 1877.
Ces tisserands tissaient la toile qu’on trouvait en abondance dans toutes les anciennes maisons ronquiéroises.
Les blanchisseries de toiles
Ronquières était réputé pour ses blanchisseries de toiles. Ses prairies basses que sillonnaient de petits ruisseaux favorisaient cette industrie. Ces blanchisseries étaient aussi, à leur façon, révélatrices de l’importance de l’industrie du lin.
Les Poulain dans le fond proche du bois de la Houssière et les Loux dans leur ferme du Masy avaient des blanchisseries réputées.
Maximilien Loux avait épousé Catherine Joly en 1764. Après lui, son fils Joseph et puis Jean-Baptiste Loux, père de Gustave et d’Antoine, s’étaient spécialisés dans le blanchissage de la toile. Le blanchissage parachevait l’oeuvre du tissage commencé par la filature.
La toile dans l’économie domestique de Ronquières
La toile a joué un role important dans l’économie domestique de Ronquières. La dot d’une petite ronquiéroise en 1738 nous en fournira un exemple intéressant.
A l’occasion de son mariage, Marie Delescolle, héritière de la petite ferme de l’Hobette au chevet de l’église, reçut une dot constituée comme suit :
- trois cents florins en argent ;
- cinquante florins pour ses habits ;
- huits paires de draps de lit neufs ;
- une nappe de quatre aunes ;
- vingt serviettes ;
- cent aunes de toile blanche ;
- un habit valant deux pistoles ;
- un lit de plumes ;
- une garde-robes ;
- une couche ;
- une table carrée ;
- les linges qu’elle porte sur elle.
Aucune de ces activités n’échappait à l’action du filtier et cela souligne l’importance du rôle jouée par Etienne Denis à la fin du dis-huitième siècle.
Étienne Denis mourut en 1815, agé de 58 ans. Ses affaires seront reprises par son fils Étienne-François Denis.